Chômage des jeunes, modèle social, 2007...

Publié le par rezeid

Social, le premier ministre ? Ou libéral, comme incitent à le penser ses multiples entailles au Code du Travail ? Est-il, comme il le prétend, le porte-parole d'un nouveau « réalisme démocratique » ? Ou prépare-t-il la fin du CDI et l'introduction d'une flexibilité à l'anglo-saxonne ? Dominique de Villepin, contre l'opposition, a décidé de présenter son projet de loi en urgence au Parlement, à partir du 31 janvier. Il répond aux questions du « Nouvel Obs »

Le Nouvel Observateur. - On vous croyait gaulliste. Avec ce plan pour l'emploi des jeunes, on vous découvre libéral !
Dominique de Villepin.
- Parlons plutôt de volontarisme et de pragmatisme. Nous sommes à un moment de l'histoire de notre pays où il faut éviter d'opposer des exigences qui, loin d'être contradictoires, sont souvent complémentaires : la liberté et la solidarité, le dynamisme économique et le progrès social, l'innovation et la fidélité à la tradition française. J'ai été profondément marqué par le 21 avril 2002, qui a été un vrai choc pour notre pays et le signe d'un profond scepticisme politique. Si nous voulons éviter que cela ne se reproduise en 2007, nous devons faire preuve de réalisme démocratique : être lucide, ne jamais perdre de vue la vérité des choses. J'ai voulu m'attaquer au problème du chômage des jeunes. Quelle est la réalité ? 23% d'entre eux sont au chômage, 70% de leurs embauches se font en CDD, 50% de ces CDD durent moins d'un mois. Ce que le gouvernement propose, c'est exactement l'inverse de la précarité actuelle : un véritable contrat à durée indéterminée, avec une période de consolidation de deux ans dans laquelle les stages, les périodes de formation en alternance et les CDD effectués dans l'entreprise sont décomptés. Au total, chaque jeune qui a aujourd'hui une difficulté à rentrer sur le marché du travail pourra mettre moins de deux ans avant d'accéder à un emploi stable, au lieu des huit à onze ans actuels.

N. O. -Mais les jeunes doivent se résigner à la précarité ?
D. de Villepin.
- Absolument pas. Le contrat première embauche est au contraire une arme antiprécarité. Il comporte de vraies garanties, qui n'existent pas actuellement pour les jeunes : l'accès au crédit, le droit à une formation dès la fin du premier mois, une indemnité de rupture en cas de séparation du salarié et de l'entreprise, une assurance-chômage. Et n'oubliez pas les dispositifs que nous avons prévus pour protéger les jeunes des risques d'abus dans l'entreprise : je pense en particulier à l'indemnisation obligatoire des stages longs. D'ailleurs, les jeunes ne s'y trompent pas : 60% des moins de 30 ans pensent que les mesures que nous proposons vont améliorer l'emploi des jeunes. Qu'il faille plus d'explications et plus de pédagogie, c'est certain. Mais soyons sérieux dans les critiques : ne faisons pas prendre aux Français des vessies pour des lanternes.

N. O. - Quelle est votre vraie nature ? Vous allez répétant votre attachement au modèle social français, mais concrètement vous introduisez la « rupture » que Nicolas Sarkozy appelle de ses voeux.
D. de Villepin.
- Il n'y a pas nécessairement de contradiction. En tout état de cause, il faut commencer par mettre fin à des situations inacceptables : le chômage élevé des jeunes, les difficultés des femmes en temps partiel subi, les plus de 50 ans qu'on écarte de l'activité. C'est la bataille que nous avons engagée. Je suis conscient des mérites du modèle français, mais conscient aussi de la nécessité de l'adapter aux réalités d'un monde qui a profondément changé. En modernisant notre modèle sans remettre en question ses principes, je veux que les Français croient à nouveau en l'action politique. Il y a un enjeu majeur pour 2007 : c'est d'apporter des réponses aux difficultés des Français, de prendre des décisions, d'obtenir des résultats. Et d'abord sur l'emploi. C'est un devoir démocratique.

N. O. -Vous récusez l'étiquette libérale ?
D de Villepin.
- Je crois en l'action et je me méfie des étiquettes. la France est un pays de dualité. L'exercice du pouvoir consiste à trouver le point d'équilibre, le point de réconciliation. Bien sûr, nous avons besoin de mouvement pour moderniser notre modèle. Mais bien sûr aussi, nous avons besoin de protection et de garanties pour avancer en confiance. Les deux sont parfaitement compatibles et font notre originalité. Pour le contrat nouvelles embauches par exemple, destiné aux petites entreprises, j'ai pris en compte les contraintes de l'employeur, qui demande davantage de souplesse, et j'ai pris en compte en même temps les exigences des salariés, en augmentant leurs garanties à mesure du temps qui passe. J'ai essayé de concilier ces aspirations contradictoires. La seule chose qui nous est interdite, c'est l'immobilisme. Nous avons une obligation de mouvement et de résultat.

N. O. -Est-ce que vous n'exagérez pas le succès du contrat nouvelles embauches pour les petites entreprises ? Les syndicats contestent vos communiqués de victoire.
D. de Villepin.
- Je me garde bien de tout triomphalisme, mais les chiffres sont là : plus de 280 000 CNE ont été conclus à ce jour. Selon une étude récente, un tiers de ces contrats sont des créations d'emplois nettes, 10% seulement des contrats ont été rompus dans les six mois, et il n'y a pas d'effet d'éviction du CDI vers le CNE. Il y a donc bien une vraie dynamique qui s'est créée. Quant à suivre attentivement les résultats, à obtenir les chiffres les plus précis possible, regarder ce qui peut être amélioré, c'est certain, et j'y suis tout à fait favorable.

N. O. - Vous tablez sur combien de contrats première embauche pour les jeunes ?
D. de Villepin.
- Je n'aime pas les effets d'annonce. Je préfère être jugé sur mes résultats. On est passé sous la barre des 10% de chômeurs en 2005, 9,6% exactement : c'est mieux que ce qu'avaient prévu les experts.

N. O. -Vous avez pris ces décisions sans concertation véritable. Peut-on traiter les problèmes sociaux en négligeant les partenaires sociaux ?
D. de Villepin.
- Je crois profondément aux vertus du dialogue et de l'écoute. Quelle est la vérité ? Depuis mon arrivée à la tête du gouvernement, la concertation a été intense : j'ai eu des rendez-vous réguliers avec les responsables syndicaux, comme la plupart des ministres de mon gouvernement, en particulier Jean-Louis Borloo et Gérard Larcher. Nous avons fixé une feuille de route en décembre dernier. Dès maintenant, nous lançons la concertation avec les syndicats pour ce qui sera la troisième phase de la bataille pour l'emploi. Nous mettons notamment sur la table la question du contrat de travail : contrat unique, fusionnant CDD et CDI, ou contrats différenciés, à l'exemple de ce que nous faisons pour les petites entreprises et les jeunes, tout est ouvert.
Nous étudierons également la question des allègements de charges sur les bas salaires et la mise en oeuvre de la proposition du président de la République sur le financement de la protection sociale. Que certains jugent cette concertation encore insuffisante, c'est leur droit. Mais mon devoir, c'est aussi de décider et d'avancer dans le sens de l'intérêt général. Les syndicats ont un rôle essentiel à jouer pour défendre les droits des salariés. Le gouvernement, pour sa part, a une responsabilité particulière pour lutter contre le chômage et développer la croissance de notre pays.

N. O. -Cette troisième étape interviendra au printemps ?
D. de Villepin.
- Il faut le temps de la concertation. Mais le chômage touche 11% des jeunes en Allemagne, contre 23% chez nous. Vous croyez sérieusement qu'on peut rester les bras croisés ?

N. O. -Vous donnez l'impression de considérer le Code du Travail comme un salami, dont vous coupez une tranche tous les trois mois.
D. de Villepin.
- Le Code du Travail fait partie de nos références essentielles. Mais pour qu'il puisse vivre efficacement, il faut l'aménager et l'adapter. C'est parce que je crois profondément au modèle social français que j'entreprends de le moderniser. Nous sommes au XXIe siècle. A bien des égards, nos querelles sont celles du XIXe siècle. Il y a un moment où il faut se poser les problèmes de son temps. Le temps des Français, c'est tout de suite. Je ne peux pas attendre demain pour leur apporter des réponses.

N. O. - La troisième étape, ce sera la fin du CDI ?
D. de Villepin.
- Certainement pas. La clé de la troisième étape, c'est d'avoir encore plus de résultats et de faire reculer davantage le chômage. Sur le contrat de travail, il y a plusieurs hypothèses. Faut-il un seul contrat ? Ou, compte tenu des situations différentes, faut-il des contrats multiples ? Pour traiter le chômage des jeunes, nous avons déjà eu ce débat. Nous aurions pu étendre simplement le CNE. Nous avons pensé que les problèmes spécifiques auxquels faisaient face les jeunes, l'indemnisation des stages, l'assurance-chômage, l'accès au crédit et au logement, le droit à la formation, justifiaient un contrat spécifique. Ma démarche, c'est de partir des problèmes concrets, pas de schémas idéologiques tout faits.

N. O. - Vous vous méfiez du contrat unique, qui est demandé par la fraction la plus libérale de votre majorité ?
D. de Villepin.
- Le contrat nouvelles embauches donne déjà des résultats ; le contrat première embauche répondra, j'en suis convaincu, aux difficultés actuelles des jeunes ; les partenaires sociaux, de leur côté, proposent un CDD pour les seniors, que je soutiens : tout cela fait que nous sommes engagés dans une approche différenciée, au plus près des problèmes de chacun.

N. O. - Certains parlent même d'usine à gaz...
D. de Villepin.
- Il s'agit de déterminer des solutions adaptées à chaque situation. Quel est l'objectif ? C'est de permettre au plus grand nombre de personnes de trouver rapidement un emploi et d'augmenter le taux d'activité dans notre pays. Pendant longtemps, on a cru qu'il n'y avait pas assez de travail pour tout le monde, qu'il fallait le partager. Moi, je crois au contraire à la dynamique de l'activité. L'emploi crée l'emploi, l'activité crée l'activité, on le constate chez nos voisins et partout dans le monde. La France a un des taux d'activité les plus faibles des grands pays développés, c'est un handicap pour chacun d'entre nous : pour tous ceux qui veulent trouver un emploi alors qu'ils ont plus de 50 ans, pour les jeunes, pour les femmes qui travaillent à temps partiel et voudraient un emploi à temps plein. Les mesures que j'ai annoncées la semaine dernière, comme le cumul emploi-retraite ou la possibilité d'avoir un deuxième emploi, répondent à ce défi de l'activité.

N. O. - Une nouvelle fois, vous donnez le sentiment d'avancer masqué : derrière les mots, vous préparez la fin du CDI.
D. de Villepin.
- Je vous l'ai déjà dit, certainement pas. Et d'autant moins que les deux nouveaux outils que j'ai créés sur le marché de l'emploi, le contrat nouvelles embauches et le contrat première embauche, sont tous les deux des CDI. Mon souci permanent est de trouver le bon équilibre entre le mouvement et la thrombose. Je veux avancer en évitant des blocages qui nous empêcheraient tous de progresser. Je me méfie de l'idéologie et des réflexes partisans. Je suis soucieux de l'équilibre entre la liberté et l'exigence de protection. Je ne choisis pas entre les deux, je choisis les deux. Plus de souplesse pour les entrepreneurs, mais aussi un accompagnement personnalisé pour les chômeurs, qui ont désormais un rendez-vous mensuel à l'ANPE.

N. O. - Vous voulez introduire en France la «flexécurité» chère aux pays scandinaves ?
D. de Villepin.
- Nous ne copions aucun modèle. Nous nous inspirons de ce qui marche ailleurs pour l'adapter aux réalités de notre pays. Mon objectif, c'est de parvenir à une sécurisation des parcours professionnels : que l'emploi ne soit plus une source d'inquiétude en France et que chacun puisse aborder les mutations économiques avec le plus d'atouts possible. Regardez ce que nous avons proposé pour les jeunes : la création d'un service public de l'orientation, l'encadrement des stages, le développement des formations en alternance, la création du contrat première embauche, tout cela balise l'entrée des jeunes dans la vie professionnelle. Le contrat de transition professionnelle pour les salariés des bassins d'emploi en pleine restructuration, voilà une autre réponse. La création d'un droit universel à la formation, encore une autre réponse. Derrière toutes ces mesures, il y a une philosophie : l'accompagnement personnalisé de chacun. Et une exigence constante : l'imagination. Car tout est loin d'avoir été fait pour lutter contre le chômage.

N. O. - Vous réformez le Code du Travail pour les salariés du privé. Mais là où existent des syndicats forts, dans le public, vous êtes beaucoup plus prudent.
D. de Villepin.
- C'est faux : la modernisation de l'Etat est pour moi une préoccupation majeure. Mais pour cela, il y a deux préalables. D'abord, il faut établir un diagnostic juste : nous avons donc décidé de pratiquer des audits dans les ministères, sous la direction de Jean-François Copé. Ensuite, il faut convaincre les fonctionnaires du bien-fondé de notre approche : car ce sont eux qui feront réussir toute réforme. A partir de là, il y a des choix qui doivent être faits, et qui seront faits. Le budget 2007 sera respectueux de nos objectifs. Sur la dette comme sur la réforme de l'Etat, je ne me déroberai pas. Chaque ministre devra me dire ses propositions en matière de missions, de structures et d'effectifs. Sur cette base, je prendrai les décisions qui s'imposent, conformes à l'intérêt général.

N. O. - Est-ce que votre but véritable n'est pas d'assécher le programme de Nicolas Sarkozy, de vous construire une stature de présidentiable ?
D. de Villepin.
- Ne réduisons pas tout à des ambitions politiciennes. Qui peut soutenir qu'agir contre le chômage des jeunes ne s'impose pas ? Mon impératif est un impératif démocratique : je ne veux pas que 2007 soit un temps de surenchère ou d'alternance mécanique. Il faut mettre un terme à l'impuissance publique. La vie politique française, depuis des décennies, se nourrit trop souvent de petites phrases.

N. O. - Le président de la République a lancé plusieurs pistes, taxation de la valeur ajoutée, TVA sociale, pour financer la protection sociale. Vous ne semblez pas très enthousiaste...
D. de Villepin.
- Ce sont les voies dans lesquelles se sont déjà engagés beaucoup de nos partenaires européens. Je vais organiser dans les prochains jours un comité interministériel sur ce dossier pour évaluer les conséquences des différentes options. L'objectif, c'est bien d'arriver à une réforme du financement de la protection sociale encourageant l'activité dans notre pays. C'est un gros travail.

N. O. - Vous avez reçu les acquittés d'Outreau. Avez-vous regardé leur audition devant la commission d'enquête parlementaire ?
D. de Villepin.
- Oui, bien sûr. Ces auditions ont constitué un moment fort de la démocratie. Nous avons tous été touchés par les terribles épreuves que les acquittés d'Outreau ont traversées. Il faut tirer les leçons de ce drame, rapidement et sereinement. Car on ne réforme pas la justice au pas de charge. Compte tenu des enjeux, je crois nécessaire de dépasser les clivages partisans pour faire un travail en profondeur. Je refuse qu'à quinze mois de l'élection présidentielle tout s'arrête. Il y a de ma part une volonté et une détermination très claires : faire avancer le pays, en redonnant du sens à la démocratie. C'est l'ambition fixée par le président de la République.
source: nouvel obs

Publié dans dominiquedevillepin

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