La droite face à l'affaiblissement de Chirac
Il n'est pas le seul, dans la majorité, à s'inquiéter de la dégringolade de la cote du chef de l'Etat dans l'opinion, après la crise du contrat première embauche (CPE). Un président en miettes ne fera pas l'affaire de la droite à la présidentielle. "Pour que la démocratie fonctionne, il faut que le chef de l'Etat termine son mandat dans de bonnes conditions", renchérissait en aparté le président du groupe UMP de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer.
C'est aussi l'avis du député de l'Oise Eric Woerth, un ami d'Alain Juppé : "Il faut que le président se remplume. On ne construira rien sur son affaiblissement. Il est indispensable que la fonction soit respectée et la personne aussi."
A mots couverts, la majorité s'inquiète, pour ne pas dire plus, de l'ascendant de Dominique de Villepin sur le président. Plus prosaïque, l'ancien directeur de campagne de M. Chirac en 2002, Antoine Rufenacht, analyse : "L'élection de 2007 se jouera à 50/50, comme d'habitude et on a intérêt à se regrouper."
Bref, il faut cesser la guerre fratricide à l'intérieur de la majorité, défendre le bilan qui n'est pas si désastreux et cesser d'attaquer le président. Plus facile à dire qu'à faire. Si les partisans discrets ou déclarés de Nicolas Sarkozy se sont réjouis du réchauffement affiché de ses relations avec le chef de l'Etat - qu'il n'attaque plus - ils n'entretiennent guère d'illusion sur la pérennité de la trêve. Elle tient surtout à la bonne cote de M. Sarkozy dans l'opinion. Le sondage IFOP pour Paris-Match du 27 avril le donne vainqueur au premier et second tour de la présidentielle dans tous les cas de figure, y compris dans un duel contre Ségolène Royal.
La trêve entre chiraquiens et sarkozystes a malgré tout déjà été écornée, avec les déclarations du ministre de l'intérieur sur l'immigration, samedi 22 avril, allant chasser sur les terres de l'extrême-droite. "On a adoré, vous pensez bien", ironise un conseiller du chef de l'Etat. M. Sarkozy reste lucide et résume ainsi sa relation avec le président : "Avec Chirac, on se s'est jamais vraiment quitté, on se s'est jamais vraiment aimé non plus." Ce n'est qu'une formule qui ne réussit pas à masquer son problème. La "rupture" de Sarkozy, c'était d'abord tourner le dos au chiraquisme. Privé de son meilleur ennemi, le voilà contraint de se présenter aussi en héritier. "Chirac est un réaliste. Ce n'est pas bon pour lui d'avoir un successeur de gauche. Il devrait tout faire pour qu'une éventuelle victoire de Sarkozy soit aussi la sienne", nuance M. Rufenacht.
Le principal obstacle au rassemblement de la droite pourrait bien être Dominique de Villepin. Car le premier ministre n'a renoncé à rien. Bien sûr, il a accusé le coup et admis ses erreurs devant ses proches. Mais un ministre qui a assisté, mercredi 12 avril, au déjeuner de l'après-crise du CPE a jugé la guérison rapide : "Au début de la réunion, il était humble et repentant, à la fin il était redevenu combatif et sûr de lui."
Mardi 25 avril, lors de l'installation de la commission "université-emploi", à la Sorbonne, il a mis en scène son retour. "Je ne suis pas un homme de trop grande prudence", a-t-il lancé, comme un défi à ceux qui lui ont reproché d'avoir voulu aller trop vite sur le CPE. "Je me place résolument du côté du mouvement, de l'adaptation, de la modernisation", a-t-il prévenu. En clair, qu'on ne compte pas sur lui pour faire de la figuration pendant les douze prochains mois. La remarque vaut surtout pour sa propre majorité.
Son cabinet a d'ailleurs mis à l'étude plusieurs scénarios de relance. Ceux ci vont du remaniement ministériel à la déclaration de politique générale... sans pour l'instant convaincre M. Chirac.
"On ne fait pas un remaniement à chaud", confiait Michèle Alliot-Marie, la ministre de la défense, tout sourire, lors d'une cérémonie à l'Elysée, lundi. Et puis le président n'a aucune envie de relégitimer sur le champ, un premier ministre qui a laissé durer la crise si longtemps.
Même s'il lui faut attendre quelques semaines et revenir à la charge auprès du président, M. Villepin compte bien cependant obtenir le soutien du Parlement sur une feuille de route, en juin, un an après son arrivée à Matignon. Il table toujours sur un remaniement qui lui permettrait de sortir les ministres les moins loyaux et de faire rentrer ou de promouvoir des fidèles.
En attendant, le premier ministre prépare activement les dossiers de sa deuxième année à Matignon. Il a l'intention de camper sur son positionnement, celle d'une droite plus au centre que celle de Sarkozy, plus soucieuse du "modèle social" français et désireuse de ne pas jouer sur les antagonismes et les fractures de la société pour gagner 2007. Sans s'occuper de ceux qui le jugent déjà "mort".